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L'intelligence artificielle menace-t-elle nos emplois ?
L’intelligence artificielle (IA) se déploie dans un grand nombre de secteurs, les domaines d’application sont multiples. Si certains observateurs voient l’IA comme une opportunité économique, d’autres, au contraire, la considèrent comme un véritable risque pour l’emploi avec la disparition programmée de pans entiers d’activité menaçant ainsi de nombreux métiers. Le développement d’outils d’IA générative, tels que ChatGPT (lancé fin novembre 2022 par l’entreprise OpenAI) alimente le débat, suscite interrogations et inquiétudes… Salima Benhamou (économiste à France Stratégie, département Travail Emploi Compétence) nous propose un éclairage sur le sujet, en pointant notamment les limites de cette technologie.
Le sommaire :
- Santé, banque, transport, logistique, industrie... Un grand nombre de secteurs concernés
- Aujourd'hui, l'impact de l'IA sur le niveau de l'emploi relève plus du buzz que de la réalité
- L'IA, une technologie déterministe qui crée ce que nous lui demandons de créer
- Substitution ou complémentarité humain / machine ?
- Que faut-il faire pour préserver la qualité du travail avec l'IA ?
Santé, banque, transport, logistique, industrie... Un grand nombre de secteurs concernés
L’intelligence artificielle a fait des progrès considérables ces dix dernières années grâce à la collecte massive de données (le big data), à l’augmentation des capacités de calcul et au développement de nouvelles techniques d’apprentissage automatisé (machine learning). Ces progrès ont ainsi permis son intégration dans un grand nombre de processus qui nécessitait auparavant l’intervention humaine. L’automatisation de tâches qui dépendent par exemple de compétences « perceptuelles », telle que la vue et l’audition qui semblent naturelles pour l’humain, étaient jusqu’à un passé récent hors de portée des machines. Même si la technologie n’est pas infaillible et si la vitesse de progression reste incertaine, les potentialités de l’IA pourraient faciliter l’automatisation de tâches encore plus complexes, rivalisant davantage avec les capacités cognitives humaines. Ce qui change aujourd’hui avec l’IA par rapport aux autres technologies d’automatisation (robotisation, ordinateurs, machines automatisées…), c’est qu’elle repose sur un mécanisme d’apprentissage, où l’accumulation des données permet l’amélioration continuelle des dispositifs. Les domaines d’application de l’IA sont aussi impressionnants et couvrent un grand nombre de secteurs comme la santé, la banque, le transport, la logistique ou encore l’industrie pour ne citer qu’eux. L’IA pourrait ainsi bouleverser en profondeur le monde du travail, l’économie mais aussi la société dans son ensemble, comme le fut l’électricité ou la machine à vapeur en leur temps.
Aujourd’hui, l’impact de l’IA sur le niveau de l’emploi relève plus du buzz que de la réalité
Si certains observateurs voient l’IA comme une opportunité économique grâce notamment à une meilleure optimisation des processus de production et à une baisse des coûts (due à l’automatisation des opérations), d’autres, au contraire, la considèrent comme un véritable risque pour l’emploi avec la disparition programmée de pans entiers d’activité menaçant ainsi de nombreux métiers, qualifiés (juristes, auditeurs, médecins, etc.) ou non. Mais en réalité, entre ces deux scénarios extrêmes, aucun consensus ne se dégage aujourd’hui. Certaines études ont avancé l'hypothèse d'une automatisation massive des tâches existantes par les nouvelles technologies numériques, dont l’IA, pouvant mener à la destruction de près de la moitié des emplois au cours des deux prochaines décennies, aux Etats-Unis comme dans d’autres pays industrialisés. Cependant, d’autres études aboutissent à des chiffres beaucoup plus faibles, allant de 10 à 15 % des métiers automatisables.
Bien qu’il soit difficile de savoir aujourd’hui combien d’emplois seront détruits ou créés par l’IA, on peut toutefois avancer avec un certain degré de certitude que l’IA, comme toute autre technologie, transformera en profondeur la manière de travailler, la dynamique d’apprentissage, l’évolution des compétences et même le contenu du travail lui-même mais avec des impacts différenciés selon les secteurs d’activités. Ainsi, s’interroger sur les impacts de l’IA sur le travail nécessite de prendre en compte aussi bien ses potentialités que ses limites.
L’IA, une technologie déterministe qui crée ce que nous lui demandons de créer
En fait, les progrès de l’IA portent principalement sur le raisonnement logique, la représentation des connaissances, la perception ou le traitement du langage naturel. Toutefois il ne s’agit pas de la pensée pour autant. Sans entrer dans les détails de ces technologies, il convient de retenir qu’il s’agit de technologies reproduisant une classification existante et répondant à un objectif bien défini, comme gagner à un jeu, identifier une pathologie particulière (comme une tumeur cancéreuse) ou encore « conduire » une voiture autonome selon des conditions de circulation spécifiques (conduite de jour, sur autoroute par exemple). Mais si l'IA est capable d'effectuer des tâches simples mais aussi des tâches compliquées avec une réelle efficacité comparable à celle d’un humain, voire plus, l’exécution de ces tâches reste toujours basée sur des règles prédéterminées et relèvent de processus hautement standardisés à partir de données massives codifiables. La principale limite de l’IA est donc de ne pas pouvoir « dévier » des normes ou de penser par elle-même. Il s’agit donc d’une technologie déterministe et contrôlée. Si l’IA est capable d’apprendre en continu, elle ne comprend pas le sens de ce qu’elle apprend.
Nous sommes loin d’un dispositif doué d’une conscience de lui-même et doté d’une grande autonomie, échappant à son concepteur
Cette limite rend difficile pour une IA de résoudre des problèmes complexes : comme par exemple la gestion de comportements humains imprévisibles, l'exécution de plusieurs tâches complexes en même temps, déterminer et analyser un lien causal entre plusieurs facteurs ou encore faire preuve d’empathie et d’écoute envers les personnes prenant en compte toute leur complexité (économique, sociale, humaine, psychique…) etc. Ce n'est pas un hasard si les plus grandes réussites de l'IA fonctionnent principalement sur des images et des données qui sont parmi les plus standardisées du point de vue du contenu numérique et donc déjà bien connus. Enfin, même si l’efficacité de l'IA est basée sur la disponibilité d'un grand nombre d'événements (souvent plusieurs milliers) et sur une puissance de calcul importante pour l'apprentissage, les résultats ne sont pas généralisables d’une situation à une autre, ce qui constitue une autre limite importante de l’IA. La volumétrie des données ne garantit pas mécaniquement un haut niveau de qualité d’analyse et de prise de décision optimale à chaque situation ou évènement imprévisible. Ainsi, l’immense majorité des tâches de compréhension et de décision réalisées par les humains restent hors de portée pour les systèmes actuels à base d’IA. Aucun système experts « intelligents » utilisé dans le secteur de la santé n’est capable de prendre en charge des patients de manière totalement autonome, tant dans le domaine du diagnostic, de la proposition thérapeutique, que dans le domaine de la prévention des comportements à risque. De la même manière qu’un véhicule autonome n’est aujourd’hui pas capable d’anticiper une situation de conduite « non apprise ». Un système expert de santé peut identifier des tumeurs cancéreuses particulières mais ne peut pas prendre en charge des patients complexes, qui présentent plusieurs pathologies en même temps. Les progrès sont encore loin de laisser présager l'avènement d'une IA dite « forte », qui serait en fait comparable à l'intelligence humaine, en particulier dans sa capacité à comprendre le contexte et à faire appel au « bon sens », ainsi qu'à sa capacité permanente d'apprentissage.
Substitution ou complémentarité humain / machine ?
Tous les métiers sont composés de plusieurs tâches dont certaines ne sont pas automatisables. Certaines sont de nature « périphériques » et à faible valeur ajoutée et d’autres constituent le « cœur » de métier à forte valeur ajoutée. L’IA pourra supprimer certaines tâches si elles sont prises en charge totalement avec une meilleure efficacité et performance économique, en apportant par exemple une meilleure qualité de précision et à moindre coût. Mais d’autres tâches ne pourront pas être prises en charge par la machine.
Un rapport de France Stratégie souligne, à partir de plusieurs illustrations sectorielles, que tous les métiers qui tirent leur force de leurs activités humaines et sociales et qui mobilisent des compétences cognitives faisant appel à la créativité et à la résolution de problèmes complexes seront préservés. Dans le domaine sanitaire et médico-social, cela concerne les médecins généralistes et spécialisés comme les infirmier(e)s ou les aides-soignant(e)s. Dans le secteur des transports, l'activité de conduite en convoi sur autoroute peut disparaître à long terme en raison du développement du véhicule autonome laissant présager une diminution probable du nombre de chauffeurs routiers à terme. Mais d’autres tâches peuvent également apparaître pouvant conduire à transformer certaines professions et mener à la création de nouveaux métiers destinés à la supervision de la gestion des flottes de véhicules, à la maintenance prédictive ou encore l’accueil et à la sécurité des véhicules. Tout l’enjeu sera d’identifier et d’anticiper les nouveaux besoins en compétences face à la transformation des métiers liée au déploiement de l’IA. De la même manière, la mise en place d’outils permettant de trier et de répondre aux requêtes les plus fréquentes et les outils avancés de recommandations personnalisées entraineront une diminution du nombre d’employés et une augmentation de la complexité des tâches restant à traiter que la machine ne pourra pas prendre en charge. Dans le secteur bancaire par exemple, le rôle des conseillers pourrait alors être renforcé et réorienté vers l'accompagnement individualisé des clients où le maintien d’une partie des interactions physiques sera nécessaire pour les cas les plus complexes et pour les populations fragiles.
Dans de nombreux cas, les dispositifs basés sur l'IA sont déjà utilisés de manière complémentaire aux tâches effectuées par les humains comme celles concernant l’aide à la décision. Ici, la tâche humaine n’est pas modifiée sur le plan conceptuel, mais le travailleur peut s’appuyer sur des systèmes capables de contribuer à améliorer les performances : diagnostic et recommandations thérapeutiques, service à la clientèle dans le secteur bancaire, etc. En somme, toutes les activités où le degré de complexité liée à la prise de décision est trop forte et qui tirent leur « force » du contact humain et des interactions sociales ou fondamentalement sociales comme les activités liées au dialogue ou à la négociation resteront effectuées par des humains. En revanche, toutes les tâches qui présentent une forte régularité basée sur des règles prédéfinies, telles que l’organisation, la planification, le contrôle à travers l’identification de fraudes ou d’anomalies, la gestion de l’information (collecte de données et traitement…) ont de fortes chances d’être automatisées ou déclassées par l’IA. Les fonctions de soutien sont particulièrement concernées et traversent de nombreux secteurs, tels que le commerce de détail, certaines fonctions de back-office dans le secteur bancaire, les assurances, le marketing, les services juridiques par exemple.
Des risques à ne pas sous-estimer sur les conditions de travail
Au niveau des tâches, l'IA peut permettre de se débarrasser de tâches fastidieuses et répétitives et donner plus de temps à la réalisation de tâches plus complexes, enrichir leur contenu cognitif. Elle peut aussi favoriser le travail en équipe, donner plus d'autonomie dans le travail, ce qui est favorable à l'apprentissage en continu et donc à l'innovation. Mais ces effets positifs découleront avant tout des usages que les organisations feront avec cette technologie et des modalités de son déploiement. Par exemple, si le temps libéré par la machine n'est alloué qu'à la réalisation de tâches complexes, cela peut engendrer des risques d'épuisement cognitif. Les conditions de travail peuvent alors se dégrader avec tout ce que cela peut induire en matière de risques psycho-sociaux. Si les entreprises s'en remettent à l'expertise d'une machine pour optimiser le temps de la prise de la décision et l'exécution d'une tâche, cette délégation peut au contraire réduire le temps d'apprentissage et l'autonomie des travailleurs et même faciliter un contrôle accru des activités des travailleurs. Si l'IA est utilisée pour leur dire quoi faire, comment faire et pourquoi il faut le faire, cela peut faire perdre aux travailleurs le sens même de leur travail et l'utilité qu'ils en tirent mais aussi la reconnaissance de leurs propres compétences.
Que faut-il faire pour préserver la qualité du travail avec l'IA ?
Il est nécessaire de trouver le bon équilibre entre le temps libéré par la machine et le temps dédié aux pauses ou aux tâches qui permettent de soulager le cerveau. Mais, est-ce que les hôpitaux, compte tenu des difficultés financières qu'ils connaissent déjà en France, pourront faire cet arbitrage et utiliser l'IA de manière à rendre les organisations du travail soutenables tout en améliorant l'efficience productive ? La complémentarité humain-machine ne va pas de soi non plus. Il faut des organisations du travail qui la favorisent. Une organisation qui évolue dans un environnement incertain aura-t-elle l'organisation du travail appropriée pour favoriser le pouvoir « d’agir » et l'autonomie, pour développer les capacités d'apprentissage en continu, surtout dans un environnement qui évolue très vite ? En fait, la question fondamentale à se poser est la suivante : quelle conception du travail nous souhaitons promouvoir face à l'IA ? Cette question concerne tous les métiers, que l'on soit soignant dans un hôpital, ingénieur dans l'industrie, préparateur de commandes dans un entrepôt de logistique ou un agent public dans une mairie. La technologie fera toujours par construction ce qu'on lui demande et créera toujours ce qu'on lui demandera de créer. Le sens et la direction des impacts futurs découlent toujours des intentions humaines et des préférences individuelles ou collectives.
Il faut transformer nos organisations du travail pour favoriser une complémentarité humain-machine intelligente et responsable tout en assurant un travail soutenable
On sous-estime trop souvent l’impact des organisations du travail sur la qualité du travail et sur les processus d’innovation. Une étude récente menée pour France Stratégie avec le professeur Edward Lorenz, a montré, quel que soit le secteur d’activité ou le niveau de qualification, que les caractéristiques organisationnelles et managériales de l’organisation dite « apprenante » (résolution de problèmes complexes, autonomie accrue, contenu cognitif élevé, travail en équipe pluridisciplinaires, gestion des aléas pour ne citer que cela) améliorent les capacités d’apprentissage des salariés en continu, le développement des compétences en situation de travail, la confiance à l’égard du management et les relations de travail. Ce modèle améliore aussi les conditions de travail, rend celui-ci plus soutenable, diminue le stress et augmente la satisfaction au travail. Les salariés se sentent aussi mieux reconnus et trouvent du sens et de l’utilité dans leur travail par rapport ceux qui évoluent dans des organisations rigides, hiérarchisées où la répartition des taches est trop segmentée et offrent peu d’autonomie et d’opportunités d’apprentissage. L’introduction de l’IA dans ce type d’organisation du travail sera plus à même de développer une complémentarité responsable entre l’humain et la machine et d’assurer un haut niveau de qualité du travail et d’innovation.
Quelle est la conception du travail que l’on souhaite en fait promouvoir ?
En somme, s’il est toujours difficile de savoir avec certitude ce qui adviendra d’ici dix ou vingt ans, on sait en revanche que la technologie et l’ampleur de son déploiement participeront aux mutations du travail mais qu’ils ne seront pas les seuls déterminants de ces mutations : l’environnement juridique et réglementaire, le contexte économique, notamment le jeu concurrentiel, la démographie, l’adéquation des compétences ou l’acceptabilité sociale face à la technologie, tous contribueront à «façonner» le monde du travail. On sait aussi qu’il n’existe pas de déterminisme en matière de technologie. Ses effets dépendront avant tout de l’usage que nous en ferons et des objectifs que nous nous fixerons collectivement. C’est bien la « rencontre » entre les usages et la technologie qui détermineront en grande partie les scénarios futurs, disruptifs ou progressifs, positifs ou négatifs. C’est aussi la manière dont seront déployés les dispositifs, partagés les gains de productivité permis par l’IA, et les choix effectués en termes d’organisation des tâches et des équipes qui détermineront en grande partie de quel côté penchera la balance. Ce qui adviendra dépendra notamment des pouvoirs publics et de la manière dont ils choisiront d’orienter les usages de l’IA dans le monde du travail pour permettre aux individus de se l’approprier, de la comprendre et d’en tirer parti dans leur pratique quotidienne au travail, en ce qui concerne le développement professionnel et personnel.
Salima Benhamou (France Stratégie)
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